Le ballon de Beaumont

Quelques années avant la première guerre mondiale, on voulut faire monter une montgolfière à Beaumont. Spectacle rare pour l’époque. Hélas, pour des raisons restées obscures, le ballon n’est jamais monté. Cette attraction avait pourtant attiré beaucoup de monde à Beaumont.

A l’heure dite, les villageois des environs s’étaient donné rendez-vous au point culminant de leur village pour voir passer ce ballon. Longue et vaine attente ! Las, tout le monde rentra chez lui, mais c’est alors que, prenant le relais d’un ballon défaillant, les quolibets jaillirent de toute part et eux montèrent sans cesse.

Beaumont et les Beaumontois furent, des décades durant, l’objet de l’ironie de leurs voisins.

« Avez-vu l’ballo, Tchot (1) »(2)

« Il l’est pété, Tchot »(3).

Ce malheureux ballon, poussé par un vent violent au moment de son ascension, avait été crevé en heurtant un clou mal placé, c’est pourquoi il était « pété » et n’était jamais monté.

En 1913, non découragés, les Beaumontois remirent sur le tapis leur ouvrage, à l’occasion de la Joyeuse Entrée de la Princesse Jeanne de Caraman Chimay. Et cette fois, le 22 juin 1913, le ballon baptisé « le Princesse Jeanne » monta.

Les Beaumontois de 1980, sans rancune ni malice tentèrent une nouvelle fois l’ascension d’une montgolfière à l’occasion du 150ème anniversaire de la Belgique ! Dommage pour le folklore, ce fut un beau vol ! La tradition ne fut pas respectée et les quolibets ne purent renaître.

(1) Surnom (« spô ») donné aux habitants de Beaumont.
(2) Avez-vous vu le ballon, Tchot !
(3) Il est crevé, Tchot !

Vive le Roy !

Comme le veut la tradition, les spectateurs du cortège de Charles Quint verront encore défiler comme les autres années, la Confrérie des Arquebusiers de Saint Laurent. Cette ancienne société, mentionnée dans le fameux «Besoigné de Beaumont» de 1610, semble avoir été fondée en 1514. Ses membres sont nommés tour à tour «Arquebusiers», «Culverniers» ou «Culveriniers» (du nom de la «culverine» ou «couleuvrine» désignant une pièce d’artillerie).

Lors de la reconstitution «1990» de la venue de Charles Quint en nos murs, les membres de cette illustre société avaient voulu renouer avec une coutume déjà ancienne : le tir du Roy. Le but était de désigner par les armes celui qui aurait le droit de porter la couronne et le collier royaux au moment du cortège. Insigne privilège !

Aussitôt dit, aussitôt fait : un fusil, un oiseau (en carton !) à abattre, un local gracieusement prêté par un sympathique voisin, et il n’en fallait pas plus pour lancer une ambiance qui ne demandait qu’à démarrer toute seule. Un tirage au sort ayant au préalable décidé de l’ordre de passage, les tireurs allaient pouvoir en découdre. Les premières salves claquèrent mais manquèrent l’une après l’autre leur cible. Bien cramponné à son perchoir,

L’oiseau était toujours vivant.

Qu’à cela ne tienne ! Un deuxième tour aurait raison du volatile. Il faut dire que parmi les arquebusiers se trouvaient alors de fins fusils ayant maintes fois prouvé leur adresse dans toutes les chasses du royaume. Les plombs fusaient, les plumes volaient, mais il fallut bien vite déchanter : sifflotant à son perchoir.

L’oiseau était toujours vivant.

Bien qu’amis des animaux, les tireurs commençaient à la trouver saumâtre. Certains accusaient la précision du fusil, d’autres la qualité des plombs, ou bien l’indiscipline des spectateurs. Chacun cependant voulait en finir. Mais après trois, et puis quatre tours, aucun d’entre eux n’avait mis dans le mille : se curant les ongles à son perchoir,

L’oiseau était toujours vivant.

C’est la haine qui se lisait maintenant sur tous les visages. On envisageait d’étrangler la bestiole, ou bien de l’achever à coups de crosse. Quelques-uns voulaient revenir demain. On discutait sans fin, tandis que, s’ennuyant sur son perchoir,

L’oiseau était toujours vivant.

C’est alors que, sortant de l’ombre du coin du comptoir où il se tenait jusque là, un arquebusier déposa sa bière et s’empara du fusil. Son pas mal assuré n’éveilla pas la méfiance de la bête. Celle-ci eut un sourire lorsqu’il chargea son arme. Elle riait carrément en le voyant viser : il est vrai qu’à cause du vent (sans doute), il avait du mal à ne pas tanguer ! Chacun retint son souffle. Le coup partit (tout seul semble-t-il). Mouche !

L’oiseau était enfin mourant !

Ce fut un tonnerre d’applaudissements. De mémoire de Saint Laurent, on n’avait vu pareille fête.

Petit Louis 1er, roi des Arquebusiers ! Dans sa royale largesse, le nouveau souverain décida d’offrir la première tournée, et puis la deuxième et une encore pour la route. Les fastes du sacre se prolongèrent tard cette nuit-là et reprirent de plus belle le lendemain. Lorsqu’elle décida de se retirer enfin dans ses appartements, Sa Majesté avait…du plomb dans l’aile. A tel point que ses sujets s’inquiétèrent : le roi pourrait-il participer valablement au cortège du dimanche ?

Les pronostics allaient bon train : impossibilité de régner ? Abdication ? Régence ? Les rumeurs cessèrent d’elles-mêmes lorsqu’il ouvrit enfin sa porte : habillé de pied en cape, collier au cou, couronne en tête, une énorme peau d’ours sur les épaules, le roi avait trop chaud, mais…

Il était toujours vivant !

Une chance de pendu !

Lors de la reconstitution de 1990, Gérard Deliège dit « le moine », Auvergnat du cortège, failli être pendu pour de bon. Mais que s’est-il réellement passé ?

Tout avait été pourtant sérieusement préparé : les répétitions s’étaient déroulées sans aucun incident, certes avec les habituels fous rires et les traditionnels quolibets, mais les cordes avaient été mises à mesure avec application. Les harnais, servant à pendre les « Auvergnats » étaient très solides.

Faux pendus, les Auvergnats ont la corde au cou mais sont en réalité retenus par un harnais de parachute un rien plus court que la corde. Seulement, pour que les corps restent bien droits et ne penchent pas en avant, ce harnais se prolonge par deux sangles qui sont passées sous les pieds juste avant que les trappes ne basculent. Les talons des chaussures ont donc toute leur importance !

Malgré les instructions, Gérard Deliège avait des chaussures plates : sous le choc de la chute, le harnais lui a glissé des semelles et la sangle ventrale est lentement remontée jusqu’à ce qu’il soit réellement pendu par le cou !

Heureusement qu’un organisateur a remarqué son teint violacé, et qu’il a alerté un des bourreaux juste au moment où « Le Moine » parvenait à articuler un faible « au secours ».

Les spectateurs se sont juste demandé pourquoi on l’avait dépendu si vite !

Et depuis lors, le système de harnais a été changé.

Mais sa journée était loin d’être finie : en fait,il a failli être deux fois tué au cours de cette mémorable journée de dimanche.

La seconde au tournoi de chevalerie de l’après-midi, dans le parc de l’Institut Notre-Dame du Bon Accueil, près de la grand-place. Gérard Deliège avait demandé à un des chevaliers à pouvoir faire un tour à cheval, ce qui lui fut accordé. Passant sous les arbres du superbe parc, les sens peut-être perturbés par la strangulation de 13 h, il n’a pas vu une grosse branche qui l’a désarçonné !

Heureusement, là encore, il y a eu plus de peur que de mal.

Fables anciennes

1883 : Un pendu à dépendre

En 1883, Charles Quint était représenté par le notaire Van Damme et les trois Auvergnats étaient Joseph Bouilliez, Alfred Quertain et Henri Boiteux

« Ce dernier a dû garder de cette époque un souvenir ineffaçable, car il s’en fallut de peu qu’il ne fût pendu tout de bon ! Au moment de l’heure suprême, on coupait la corde et nos pendus tombaient dans un tombereau. Cela s’accompagnait, bien entendu, d’une «Brabançonne» vigoureuse. Advint-il qu’un musicien trop ému fit un «couac» retentissant ? Toujours est-il que, ce jour-là, les chevaux de l’escorte prirent peur; il y eut une panique dans la foule et parmi les acteurs, si bien qu’on en avait oublié de dépendre le ci devant Henri Boiteux qui en réchappa tout de même, mais préféra borner là ses talents de tragédien.

Allez-vous faire conter cette aventure par des vieux de Beaumont qui ne manqueront pas de l’assaisonner, et vous n’aurez pas perdu votre temps. »

Ce fait divers fut conté par Monsieur L. Lebrun à un journaliste en 1937.

Extrait de Bonjour n° 8 du 15 août 1937.

1931 : Un bouffon pas sérieux

Le dossier de l’organisation de la reconstitution de 1931 comporte la correspondance échangée entre le bouffon du Roi (Mr Léopold Busine) et le comité d’organisation.

Nous ne pouvons résister au plaisir de reproduire in extenso ces trois lettres qui ne manquent point d’humour, deux sont des documents authentiques, (celle de Mr Busine) la troisième est le brouillon de la réponse du comité que l’on peut supposer comme exacte.

Beaumont, le 14 juin 1931

«Messieurs les Membres du Comité Charles Quint,

D’après certains bruits qui courent en ville concernant le remplaçant du bouffon du Roi, je n’ai jamais refusé de le faire. L’année dernière, je l’ai fait avec plaisir, vous avez pu vous tous en juger. Je suis cette année. Messieurs, encore prêt à remplir mon rôle comme avant, mais j’espère bien que cela mérite au moins une récompense.

Recevez, Messieurs, mes bien sincères salutations.

Léopold Busine »

Réponse du comité en date du 16 juin 1931.

« En séance du 16 juin 1931, le comité ayant pris connaissance de votre lettre me prie de vous répondre ce qui suit et j’espère toujours votre collaboration comme bouffon du Roi au cortège Charles Quint.

Quant à la récompense que vous demandez, vu l’état de nos ressources, il nous est impossible d’accéder à votre sollicitation.

J’espère que vous comprendrez. »

Monsieur Busine a répondu au Comité en date du 18 juin 1931.

Beaumont, le 18 juin 1931

«Messieurs les Membres du Comité Charles Quint,

Si vos ressources ne vous le permettent pas, mes jambes ne les permettent pas non plus.

Donc inutile de compter sur moi pour ce jour-là.

Mes bien sincères salutations. »

Quand on vous disait que le bouffon n’avait pas fini de nous faire rire !